EXPOSITION



Le patrimoine culturel subacuatique

La richesse du patrimoine culturel subaquatique mondial est encore sous-estimée.
Au cours du siècle dernier, les sites archéologiques terrestres ont livré d’abondantes informations sur le développement de civilisations. Les océans, qui couvrent la plus grande partie de notre planète, conservent encore beaucoup de leurs secrets. Néanmoins, ils renferment un témoignage de l’esprit de nos ancêtres qui est sans équivalent et reste à explorer ; en outre, bien souvent, les épaves de navires et les ruines de cités englouties sont bien mieux préservées que les sites comparables découverts sur la terre ferme.
Toutefois, le pillage du patrimoine culturel subaquatique et la destruction de son contexte progressent rapidement et menacent de priver l’humanité de ce patrimoine. Les flots ont protégé les épaves et les ruines durant des siècles, mais les progrès des techniques de plongée les rendent maintenant plus accessibles et, de ce fait, de plus en plus vulnérables. Le pillage et la dispersion du patrimoine archéologique ne se limite plus aux sites terrestres et la chasse aux trésors se déroule désormais sous l’eau. Alors que de nombreux États ont renforcé la préservation de leur patrimoine terrestre, la plus grande part de leur patrimoine subaquatique demeure sans protection.

On entend par « patrimoine culturel subaquatique » toutes les traces d’existence humaine présentant un caractère culturel, historique ou archéologique qui sont immergées, partiellement ou totalement, périodiquement ou en permanence, depuis 100 ans au moins, …
Convention de 2001, Art. 1 par. 1(a)

LA RICHESSE DU PATRIMOINE CULTUREL SUBAQUATIQUE
Ils offrent un témoignage de différentes périodes et différents aspects de notre histoire – bien qu’il s’agisse de la cruauté de la traite des esclaves, de la férocité des guerres, l’impact des catastrophes naturelles ou des échanges pacifiques et du dialogue interculturel entre des régions éloignées.
Épaves
On estime à plus de 3 millions le nombre d’épaves dispersées au fond des océans de la planète et qui n’ont pas encore été découvertes. Le Dictionary of Disasters at Sea, par exemple, recense 12 542 bateaux à voile et bâtiments de guerre perdus en mer pour la seule période de 1824 à 1962. De nombreux navires célèbres ont péri, inspirant livres et films, comme l’Armada de Philippe II d’Espagne, le Titanic, la flotte de Kublai Khan, les vaisseaux de Christophe Colomb et les galions espagnols qui sillonnaient les mers entre les Amériques et l’Espagne.
Ruines
De même, les vestiges d’innombrables édifices anciens sont aujourd’hui recouverts par les eaux. Alors que les légendes évoquent la mystérieuse Atlantis, une véritable Pompéi sous-marine a été découverte dans la baie d’Alexandrie, avec les ruines de l’illustre phare d’Alexandrie (le célèbre Pharos, septième merveille du monde), ainsi que le palais de Cléopâtre et de nombreux temples. Parmi les vestiges sous-marins, on compte également de nombreux villages du Néolithique découverts au fond de la Mer Noire, une partie de l’ancienne Carthage, des temples hindous d’une grande beauté qui complètent le site du Patrimoine mondial de Mahabalipuram, en Inde, et Port Royal de la Jamaïque, englouti lors d’un tremblement de terre en 1692.

Comment pouvez-vous appeler
cette planète « Terre » alors qu’elle
est manifestement « Eau » ?

UN PATRIMOINE EN DANGER
Destruction, pillage et exploitation commerciale Destruction Un objet tiré du fond de la mer après une longue immersion dans l’eau salée risque de se détériorer rapidement au contact de l’air. Pour être préservé, il doit subir un traitement adéquat de désalinisation et de conservation. Ainsi, en 1840, lors de la vente aux enchères d’objets tirés de la célèbre épave du Mary Rose par une opération privée, on a observé que des boulets de canon, qui pesaient près de 32 livres lors de leur découverte, n’en pesaient plus que 19. Après un certain temps d’exposition à l’air, l’élévation de température avait provoqué une oxydation. En outre, le sel de l’eau de mer avait cristallisé en séchant et poursuivi l’érosion de la structure du métal. Des phénomènes de ce genre affectent également la céramique et le bois. Des fouilles qui n’appliquent pas des procédés de conservation adéquats peuvent donc aisément se transformer en un vandalisme involontaire.
Pilage
De nombreux sites archéologiques subaquatiques ont déjà été la proie d’importants actes de pillage et de vol. Dès 1974, des études ont montré que toutes les épaves connues au large des côtes turques avaient été pillées. Dans les années 1990, les archéologues israéliens estimaient que près de 60 % des objets culturels originellement immergés dans les eaux israéliennes avaient été récupérés et dispersés sans laisser de traces dans les collections publiques. De même, les scientifiques français estiment que, de toutes les épaves anciennes connues gisant au large des côtes françaises, 5 % seulement restent inviolées.
Insufisance de la protection juridique Dans de nombreux États, l’absence de protection juridique signifie que rien n’empêche l’exploitation et l’appropriation par les chasseurs de trésors des objets issus des sites subaquatiques. La meilleure illustration en est l’exemple du Portugal. Entre 1993 et 1995, la législation portugaise permettait la vente d’objets tirés de fouilles archéologiques subaquatiques. Au moins six sociétés internationales de récupération de trésors ont commencé à opérer au Portugal pour exploiter le riche patrimoine culturel subaquatique gisant le long des côtes de ce pays. La législation portugaise pertinente a été gelée en 1995 et abrogée en 1997, ce qui a permis une renaissance de l’archéologie subaquatique scientifique. En 2006, le Portugal a ratifié la Convention de l’UNESCO de 2001 pour renforcer la protection de son patrimoine culturel subaquatique et coopérer efficacement avec d’autres États de la région.
Études de cas
1. L’épave du Titanic, Tere-Neuve, Canada
2. L’épave du Tek Sing, Mer de Chine méridionale
3. L’épave de l ’Elizabeth and Mary (Flote de Phips), Baie-Trinité, Canada
4. L’épave du Geldermalsen, Admiral Stelingwerf Reef, Indonésie
5. L’épave du HMS Pandora, Quensland, Australie
6. L’épave de la Nuestra Señora de At ocha, Marquesas Keys, Floride, États -Unis d’Amérique
7. Épave de l ’âge du bronze, Bodrum, Turquie
8. La Juste, Pays de la Loire, France
Évolutions récentes : Attractions Touristiques et Musées Subaquatiques
Le patrimoine culturel subaquatique est également fascinant du fait du mystère lié à sa situation sous les eaux et à son contexte historique. Le site d’une épave ou d’une ruine engloutie est le souvenir d’une tragédie humaine – la fin d’un voyage et la perte de vies humaines. La découverte du site d’une épave permet de voyager dans le passé et de revivre les derniers moments du navire et de son équipage.
Une fois tirés de l’eau et exposés sur la terre ferme, les objets sont privés de leur contexte et perdent une partie de leur signification. Plusieurs actions récentes ont donc visé à offrir aux visiteurs des expériences in situ, tout en assurant en même temps la conservation et la protection du site original conformément aux principes de la Convention de l’UNESCO de 2001.
Plusieurs projets sont actuellement en cours d’examen ou de réalisation :

• Le site de Baiheliang (Chine) est immergé sous le lac artificiel du barrage des Trois Gorges. Cette paroi de pierre porte les plus anciennes inscriptions hydrologiques connues, qui enregistrent 1 200 années consécutives de variation du niveau des eaux. Avant le remplissage du réservoir des Trois Gorges, la paroi était cachée en période de hautes eaux et restait visible lorsque l’eau était basse. Afin de préserver le site, les autorités chinoises ont décidé de protéger le rocher de Baiheliang par un réservoir en forme d’arche, dont l’eau n’est pas sous pression. Deux tunnels subaquatiques ont été construits depuis la berge pour permettre au public de visiter le site et de voir les inscriptions.

• Le Phare d’Alexandrie et le palais de Cléopâtre, en Égypte, submergés par une série de tremblements de terre au XIVe siècle, se trouvent aujourd’hui 6 à 8 mètres sous les eaux de la baie d’Alexandrie. Les archéologues subaquatiques et d’autres scientifiques ont entrepris plusieurs campagnes de fouilles pour explorer et sauver les ruines. Des milliers d’objets (statues, sphinx, colonnes et blocs), superposés au fil des périodes pharaonique, ptolémaïque et romaine, ont été récupérés et, pour partie, présentés au public à l’occasion d’importantes expositions qui ont chacune attirée des milliers de visiteurs. Le reste des ruines sera laissé dans la baie et la construction d’un musée subaquatique en coopération avec l’UNESCO est envisagée afin de préserver ces reliques in situ.

LA NÉCESSITÉ D’UNE CONVENTION INTERNATIONALE
Malgré la grande importance historique et culturelle du patrimoine culturel subaquatique, une protection juridique adéquate fait souvent défaut.
Législation et juridictionationale
Un certain nombre d’États n’offrent pas de protection juridique pour leur patrimoine culturel subaquatique, tandis que d’autres prévoient un niveau de protection minimal, voire élevé. Cependant, lors même que cette protection existe, les lacunes de la législation et la souveraineté des États permettent aux chasseurs de trésors de poursuivre leurs activités et d’exploiter les objets à des fins purement commerciales, sans égard pour la perte que cela représente pour l’humanité et pour la science.
Cette situation tient au fait que les législations nationales les plus protectrices elles-mêmes ne suffisent pas entièrement à sauvegarder efficacement le patrimoine culturel subaquatique, compte tenu de sa nature et de sa localisation spécifique. Seule une petite partie des océans du monde, qui touche les territoires nationaux – la mer territoriale – relève de la juridiction nationale exclusive d’un seul État. Cependant, dans la plupart des cas, la juridiction des États est très limitée. En haute mer, il n’existe pas d’autre juridiction d’État que celle qui s’applique aux navires et aux nationaux d’un État. Il est donc urgent de disposer d’un instrument juridique international permettant de réglementer et de coordonner la protection des sites archéologiques subaquatiques et d’encourager la coopération entre États.

La Convention des Nations Uniesur le droit de la mer de 1982 (UNCLOS)
L’UNCLOS est l’un des plus importants traités internationaux réglementant le droit de la mer. Il réunit actuellement plus de 150 États parties. Entre autres dispositions, il comporte des règles relatives à la souveraineté en mer.
Ses articles 149 et 303 prévoient l’obligation pour les États parties de protéger le patrimoine culturel subaquatique. Cependant, l’UNCLOS ne prévoit pas les détails de cette protection et permet donc expressément, dans son article 303, paragraphe 4, un accord international plus spécifique.
La Convention de l’UNESCO sur la protection du patrimoine culturel subaquatique de 2001, élaborée près de deux décennies plus tard, est un accord international spécifiquement consacré à la protection du patrimoine culturel subaquatique. La Convention reconnaît ce patrimoine comme faisant partie du patrimoine culturel de l’humanité et est conçue pour garantir sa préservation au moyen d’un cadre spécifique de protection et de coopération entre ses États parties. La Convention de 2001 établit un règlement qui doit être appliqué conformément au droit international, notamment l’UNCLOS.

LA CONVENTION DE 2001
La Convention de 2001 est une réglementation spécifique au patrimoine culturel subaquatique. Dans son cadre, le terme de « patrimoine culturel subaquatique » est employé pour désigner « toutes traces d’existence humaine présentant un caractère culturel, historique ou archéologique qui ont été partiellement ou totalement immergées, périodiquement ou en permanence, depuis 100 ans au moins (…) » (Art. 1 para. 1(a)).
La Convention fixe pour norme un niveau élevé de protection de ce patrimoine afin d’en empêcher le pillage et la destruction. Cette protection, comparable à celle qui est accordée par d’autres conventions de l’UNESCO ou législations nationales relatives au patrimoine culturel terrestre, est cependant spécifique au patrimoine culturel subaquatique. La Convention contient des exigences minimales. Chaque État partie peut, s’il le souhaite, développer des normes de protection plus élevées.

Principes fondamentaux
L’objectif de la Convention de 2001 est d’assurer une protection efficace du patrimoine culturel subaquatique et sa préservation pour les générations futures. Elle vise également à permettre aux États d’exercer efficacement cette protection. Ses principes les plus importants sont les suivants :
Obligation de préserver le patrimoine culturel subaquatique
Les États parties préservent le patrimoine culturel subaquatique dans l’intérêt de l’humanité, et prennent des mesures à cette fin. La Convention de 2001 exige également que tous les restes humains immergés dans les eaux maritimes se voient assurer le respect qui convient.
Priorité à la préservation in situ
La préservation in situ du patrimoine culturel subaquatique (c’est-à-dire au fond de la mer) doit être considérée comme l’option première et celle qui doit être privilégiée avant d’autoriser ou d’entreprendre toute intervention sur ce patrimoine. La récupération d’objets peut cependant être autorisée lorsqu’elle contribue de manière significative à la protection ou à la connaissance du patrimoine culturel subaquatique. La préférence accordée à la préservation in situ comme première option :
• souligne l’importance et le respect du contexte historique de l’objet culturel et sa signification scientifique ;
• a pour but d’éviter de répéter les erreurs commises dans le passé à grande échelle sur la terre ferme et qui consistaient notamment à arracher les objets culturels de leur emplacement original pour les ramener à l’étranger ;
• reconnaît que, dans des situations normales, le patrimoine est bien préservé sous l’eau du fait du faible taux de détérioration et du manque d’oxygène, et qu’il n’est donc, en soi, pas en danger.
Pas d’exploitation commerciale
Le patrimoine culturel subaquatique ne doit pas être exploité commercialement à des fins de transaction ou de spéculation et ne doit pas être dispersé irrémédiablement. Cette règle est conforme aux principes moraux qui s’appliquent déjà au patrimoine culturel terrestre. Elle ne doit, bien entendu, pas être comprise comme devant empêcher la recherche archéologique où l’accès des touristes.
La Convention prévoit qu’aucune intervention sur le patrimoine culturel subaquatique à laquelle elle s’applique n’est soumise au droit de l’assistance ni au droit des trésors existants, sauf si elle est autorisée par les services compétents, si elle est pleinement conforme à la Convention et si elle garantit la protection maximale de ce patrimoine culturel subaquatique lors de toute opération de récupération.
FORMATION ET PARTAGE DE L’INFORMATION
La formation à l’archéologie subaquatique, le transfert de technologies et le partage de l’information seront encouragés et le public sensibilisé à la valeur et à l’importance de ce patrimoine. Les États parties coopéreront également et se porteront mutuellement assistance pour la protection et la gestion du patrimoine culturel subaquatique, collaborant notamment à l’exploration, à la fouille, à la documentation, à la conservation et à la mise en valeur.
PAS DE RÉGLEMENTATION DE LA PROPRIÉTÉ DU PATRIMOINE
La Convention de 2001 ne vise pas à arbitrer les litiges où revendications relatifs à la propriété. Elle ne réglemente donc pas la propriété d’un bien culturel entre les différentes parties concernées.

LE MÉCANISME DE COOPÉRATION INTERNATIONALE
Dans la zone économique exclusive, sur le plateau continental et dans la « zone » les États ont une juridiction et des droits de souveraineté très limitées. Dans la zone (c’est-à-dire dans les eaux situées au-delà de la juridiction nationale) ils n’ont pas d’autre juridiction que celle de leurs propres vaisseaux et nationaux. Pour cette raison et respectant cela, la Convention de 2001 établit des dispositions claires pour un mécanisme international de déclaration et de coopération, afin de rendre la protection efficace dans tous les zones maritimes. Selon la localisation du patrimoine culturel subaquatique, le suivant doit s’appliquer :
Eaux intérieures, eaux archipélagiques et mer territoriale
Les États parties ont le droit exclusif de réglementer les activités dans leurs eaux intérieures, leurs eaux archipélagiques et leur mer territoriale (Convention de 2001, article 7).
Zone économique exclusive, plateau continental et Zone *
Les articles 9 à 11 de la Convention de 2001 établissent un régime spécifique de coopération internationale englobant la déclaration, les consultations et la coordination pour la mise en ouvre de mesures de protection du patrimoine découvert dans la zone économique exclusive, sur le plateau continental et dans la zone. Cependant, la Convention ne porte pas atteinte aux droits, à la juridiction et aux devoirs des États en vertu du droit international ou à d’autres accords internationaux et aux règles du droit international.